Maladie, deuil, handicap, agression, précarisation économique… autant de thèmes qu’il est difficile d’aborder frontalement dans le cadre d’études. Intimes, ces sujets peuvent réveiller de la douleur ou de la honte, ou même relever de l’inconscient ou du déni chez la personne interrogée. A la lumière d’une étude que nous avons menée récemment sur le cyberharcèlement, nous avons dressé un retour d’expérience des pratiques et de nos solutions pour répondre à ces situations particulières.
Ne pas aborder les sujets de manière frontale
D’une façon générale, la règle est d’aborder le sujet le plus largement possible, puis de recentrer jusqu’à parler de la personne elle-même. Sur le thème de la maladie par exemple, on va questionner d’abord la personne sur son entourage, avant d’arriver à son cas personnel. Le thème lui-même sera annoncé de façon générale. Ce principe permet d’introduire auprès de la personne interrogée l’idée que le sujet fait partie de la vie, concerne tout le monde.
Nous avons ainsi mis en place une méthodologie spécifique pour une étude sur le cyberharcèlement, menée auprès d’enfants et adolescents de 8 à 18 ans et de leurs parents. L’enquête quantitative, menée online, leur présentait d’abord trois situations de cyberharcèlement vécues par des « personas » ou portraits-types. Le questionnaire demandait aux jeunes de réagir, de dire s’ils connaissaient des personnes qui avaient été confrontées à ce type de situation… avant d’arriver à leur propre vécu. « Cette méthodologie a fait prendre conscience aux jeunes que ces situations n’étaient pas forcément exceptionnelles ni honteuses » explique Didier Caylou, Directeur du département Banque Finance Assurance d’Audirep. En phase d’analyse, les réponses étaient recoupées avec celles des parents, avec parfois des décalages… pour composer une vision du phénomène la plus réaliste possible.
Un autre moyen de contourner la gêne est de garantir l’anonymat sur une partie des réponses. L’online offre évidemment plus de confidentialité : être caché derrière son écran peut libérer la parole. « Mais s’il offre une tribune d’expression plus libre, son inconvénient est de ne pas offrir l’écoute que permet un contact direct par téléphone par exemple » relève Catherine Bourricand, Directrice conseil au département Etudes Qualitatives.
Ecouter et mettre en confiance, sans aller trop loin
Or, l’écoute est justement un atout essentiel lorsqu’on aborde des sujets sensibles. Maladie, handicap… les personnes concernées peuvent être fragilisées, voire hostiles. « Sur ces thèmes, il faut être dans l’individuel, dans la mise en confiance » recommande Catherine Bourricand. Une phase d’écoute qui peut prendre du temps.
Un mot d’ordre pour les interviewers : ne pas être dans le jugement, adopter une posture neutre avec de l’empathie. C’est un juste équilibre à trouver, avec des entretiens suffisamment ouverts pour permettre la libération de la parole, aboutissant à des questions plus ciblées permettant de répondre aux objectifs de l’étude… et également parfois de détecter des besoins. Un mix quali puis quanti peut être très intéressant. L’entretien qualitatif peut soulager la personne en lui permettant de s’exprimer… « Il se crée un lien humain, mais il ne faut pas en faire trop non plus et tomber dans la thérapie ; dans une étude, nous nous inscrivons dans un temps de toute façon limité » précise Didier Caylou.
Certains entretiens peuvent être très difficiles à mener et lourds psychologiquement, face par exemple à des personnes porteuses de handicaps lourds qui vivent de graves difficultés financières, et qu’il est difficile de recadrer.
Adapter les profils des enquêteurs et intervieweurs
Trouver le juste milieu entre le besoin de la personne et l’objectif de l’étude : c’est un art difficile, et la raison pour laquelle nous confions ces études à des intervieweurs et enquêteurs très expérimentés… voire aux directeurs d’études eux-mêmes pour le quali. « Il m’est arrivé de me rendre moi-même au domicile des personnes interrogées, raconte Catherine Bourricand. C’est un vrai enrichissement personnel. » Le profil de l’intervieweur peut aussi être ajusté pour s’approcher de celui de l’interviewé, pour des cibles jeunes par exemple.
Le travail des enquêteurs est aussi facilité par un questionnaire adapté, avec beaucoup de questions ouvertes, et qui leur laisse une certaine marge de manœuvre pour permettre à la personne de s’exprimer sur ses difficultés tout en la ramenant à l’objet de l’étude.
Obtenir du factuel tout en laissant la parole se libérer : c’est tout l’enjeu de ces études « en terrain sensible »…