Quel est aujourd’hui l’état d’esprit de la génération Y ?
Le premier mot qui me vient à l’esprit est « frustration » : plus de 70% des jeunes français
(18-34 ans) disent que la société ne leur donne pas les moyens de faire leurs preuves, de pouvoir exister socialement et vivre pleinement
de leurs propres choix. C’est fondamental.
Ils ont conscience d’être face à un parcours du combattant…
Dans ce contexte, en quelles valeurs croient-ils ?
L’envie d’engagement concret est très présente,
comme l’a montré la grande enquête nationale de l’Afev et Audirep « Les jeunes et l’engagement politique ». Celle-ci révèle qu’il n’y a pas un désintérêt de la politique : 75% d’entre eux ont déjà voté ! Ces jeunes défendent des valeurs très démocratiques, éthiques, de solidarité envers la famille et les proches, d’égalité dans les groupes, de mobilité dans les parcours, d’ouverture sociale
très forte. Ils souhaitent s’engager au sein d’associations, demandent la création de lieux de participation et de dialogue dans leur ville. Pour plus d’interactions, loin de la démocratie représentative (les politiques) en qui ils n’ont plus confiance.
|
|
En veulent-ils à la génération précédente ?
Ce qui m’a le plus étonnée lors de l’enquête « Génération Quoi » que j’ai menée avec le sociologue Camille Peugny, c’est qu’on est bien loin du conflit de valeurs entre générations.
Malgré cet héritage de crise, il n’y a pas eu de rupture avec les parents car il existe une très forte solidarité, un grand soutien
de la part de la famille. Même pour les jeunes qui décrochent un CDI, les parents s’angoissent ! Malgré tout, le rapport qui se développe avec la génération ainée est très ambiguë. On observe une suspension de la « famille d’après » : difficile de faire sa place de jeune adulte en restant vivre chez ses parents…
D‘où une envie d’ailleurs chez plus d’un quart des jeunes !
Envie d’ailleurs pour vivre sa vie, c’est aussi une volonté positive de s’en sortir ?
Oui ! La conséquence de cette désillusion est aussi une force, un optimisme personnel : il faut compter sur soi. Ils se sont libéralisés par nécessité, en réponse à la dureté de la société : ils ne croient plus à la méritocratie
à la française, aux ressorts traditionnels comme les diplômes qui ne permettent plus comme avant de trouver du travail…
|
|
Du coup ils dégagent des forces personnelles, des parcours plus variés… C’est là une conception individualisée de la réussite, par nécessité, dans un univers de compétition.
Pourtant certains disent qu’ils ne pensent pas carrière, mais plutôt bien-être et développement personnel ?
C’est vrai, ce sont de plus en plus des choix exclusifs : soit je rentre dans une logique d’argent et de survie, soit dans une logique d’aspiration personnelle pour une vie faite de choix, de souplesse, de mobilité... Ce tiraillement est une réflexion typiquement française. C’est une grande tendance montante
qui s’est radicalisée avec la crise. Mais exister socialement passe par le travail et comme cette expérience n’est pas comblée, c’est tendu. D’où un besoin de prise de parole
pour cette génération.
Cécile Van de Velde est membre de l’Equipe de Recherche
sur les Inégalités Sociales du Centre Maurice Halbwachs (CNRS/EHESS/ENS), auteur de Devenir adulte : sociologie comparée de la jeunesse en Europe (PUF, 2008) et personnalité référente pour l’enquête Génération Quoi ? (FranceTélévisions / Upian / Yami2).
|